Mai 1834. Lafayette meurt et la France s’en fiche. Les journaux y consacrent une brève et il est vite mis aux oubliettes de l’Histoire de France. Aux Etats-Unis, cependant, c’est une autre histoire. Les drapeaux sont mis en berne. Le président Andrew Jackson proclame un deuil national et l’ex-président John Quincy Adams fait un éloge de trois (trois!) heures devant le Congrès. “C’était dans tous les journaux, tous les magazines. La mort de Lafayette fut un évènement national aux Etats-Unis” raconte Laura Auricchio, auteure de The Marquis.
Comment un Français peut-il être autant adulé aux Etats-Unis et ignoré dans son pays? C’est le paradoxe que la Doyenne des études “undergraduate” à la New School de New York explore dans son ouvrage sur ce général français qui “n’était jamais vraiment chez lui car les Américains le voyaient comme un Français et les Français comme un Américain” . Depuis sa sortie, elle sillonne les Etats-Unis à la rencontre des nombreux curieux qui continuent de se passionner pour la vie du Français. Elle participera le dimanche 12 avril au Gala des Amis de l’Hermione en Floride à Naples, pour lever des fonds pour le futur voyage de la réplique de l’Hermione aux Etats-Unis dans quelques mois.
L’Américaine s’est plongée pendant sept ans dans l’histoire tourmentée du marquis, dont elle a croisé le chemin en faisant des recherches sur le portrait d’une personne qui était supposée être sa femme. Depuis sa naissance en Auvergne dans une famille d’aristocrates et de militaires, jusqu’à sa mort, elle brosse le portrait d’un homme mal à l’aise dans son milieu en France. “Il n’avait aucune des grâces, des qualités pour être un courtisan. Il ne dansait pas bien, il n’était pas beau. Il était rustre et imposant. Et il ne faisait pas d’éloges facilement” dit-elle.
Lafayette voit notamment dans la révolution américaine l’opportunité de venger son père, tué par les Anglais, et défendre son idéal de liberté. Grand admirateur de George Washington, il arrive aux Etats-Unis en 1776, apprenant l’anglais lors de la traversée, mais n’est pas le bienvenu. “George Washington ne savait pas que faire de lui, rappelle Laura Auricchio. Mais il le prend rapidement sous son aile car il voit que le jeune homme de 19 ans veut se rendre utile. Lafayette a perdu son père à deux ans, Washington n’avait pas d’enfants. Ils cherchaient tous les deux ce genre de relation. Les Américains ont été choqués de le voir arriver. Les seuls aristocrates français qu’ils avaient rencontrés étaient snob. Sa simplicité a conquis les Américains” .
A la différence d’autres militaires français engagés dans la Révolution américaine, comme Rochambeau “très décoré, très expérimenté, qui est rentré en France après pour poursuivre sa carrière” , Lafayette noue avec la jeune démocratie des liens profonds. “Lafayette ne pouvait pas rentrer en France pour faire carrière; il n’en avait pas. Les Etats-Unis sont devenus sa carrière. Il est venu aux Etats-Unis comme de nombreuses personnes après lui: pour commencer une nouvelle vie. ”
L’engagement de Lafayette est d’autant plus surprenant qu’il défendait une monarchie constitutionnelle, le même modèle que les révolutionnaires américains voulaient défaire. Mais selon Laura Auricchio, Lafayette – comme Jefferson – pensait que la monarchie n’était pas adaptée au Nouveau Monde, un territoire sans classes, sans hiérarchies. “D’ailleurs, Lafayette pensait que certains Américains étaient trop aristocratiques!” remarque-t-elle.
Lafayette meurt à Paris en personnage controversé, sa place dans l’Histoire de France restant notamment associée au massacre du Champs de Mars. Il a des allures de personnage “tragique” aussi. “Lafayette aura vu de son vivant une monarchie constitutionnelle s’établir en France, celle de Louis-Philippe, mais il aura aussi vécu assez longtemps pour voir une nouvelle fois un monarque empiéter sur les droits de ses concitoyens” poursuit-elle. Il avait ses idéaux et y croyait mais beaucoup n’ont pas marché.” Cependant, il était “fier” de sa réussite aux Etats-Unis. “Il voulait que les Américains sachent qu’il était engagé à leurs côtés” . Se serait-il reconnu dans les Etats-Unis de 2015 ? “Lafayette était un modéré, et nous n’en avons pas beaucoup aujourd’hui dans le paysage politique. Et il aurait été dévasté par l’épisode des Freedom Fries, pense l’auteure. Mais je pense que Lafayette voyait les Etats-Unis comme un endroit avec beaucoup de potentiel. Il verrait la situation aujourd’hui avec ce regard-là” .
"Lafayette voulait commencer une nouvelle vie aux Etats-Unis"
Par Alexis Buisson / Le 7 avril 2015 / Actualité
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