Vie d’Expat : Pourvu que mon fils n’épouse pas une Américaine

Vie d’Expat : Pourvu que mon fils n’épouse pas une Américaine

Par Nicolas Cauchy / Le 5 mai 2025 / Au quotidien

Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres et de revues sur l’épanouissement personnel. Illustration Clémentine Latron.

Cette semaine, découvrons l’histoire de Sarah qui préférerait avoir une belle-fille française.

« Je le savais. Je l’ai toujours su, depuis ses trois ans, depuis qu’il a dit ses premiers mots : un jour, il tomberait amoureux d’une Américaine. Comment pourrait-il en être autrement ? Il est né sur le sol américain. Il est allé à l’école, puis à l’université américaine et toutes les jeunes filles qui le gardaient – c’est-à-dire qui le câlinaient et le couvraient de bisous – étaient des Américaines. Des vraies. Avec des sourires parfaits et un enthousiasme inébranlable tous les jours de l’année et spécialement pendant Halloween. Mais aussi des voix insupportables.

Je me rappelle avoir jugé, quand j’étais plus jeune, les gens qui disaient des phrases comme « Je préfère qu’il épouse quelqu’un de chez nous ». Je trouvais ça épouvantable, arriéré, communautariste. Et maintenant ? Me voilà à espérer très fort qu’il rencontre une Française en Erasmus. Ou à la rigueur une Canadienne, une Suisse ou une Belge. Francophone, au moins. Je suis devenue l’incarnation de ce que je critiquais. Mais c’est plus fort que moi.

Il a 24 ans aujourd’hui. Il est charmant, brillant, bien élevé (grâce à moi, évidemment). Et, comme par hasard, il plaît aux Américaines. C’est simple, elles adorent l’entendre parler français. Elles adorent son prénom qu’elles prononcent mal. Elles adorent son côté « beau ténébreux », un croisement entre BHL et Timothée Chalamet. Et moi, je vois défiler les “girlfriends” en m’attendant à chaque fois qu’il m’en présente une en me disant « C’est la bonne ».

Je sais que je suis injuste. Mais bon, j’angoisse à l’idée qu’elle l’entraîne dans une vie où l’on ne sait pas s’asseoir pour prendre un café. J’ai peur qu’il finisse ses vendredis soirs dans des bars tapissés d’écrans géants, bière à la main et casquette vissée sur la tête. Je redoute qu’il s’habitue à ces repas expédiés en vingt minutes chrono, sans pain, sans vin, sans contradiction. Qu’il oublie le plaisir de ne pas être d’accord. Qu’il se fasse livrer son café le matin. Qu’il renie le fait que l’on puisse douter, râler, changer d’avis. Qu’il se mette à penser qu’un bon citoyen est un citoyen qui ne bronche pas. Et ça, pour le coup, ça ne serait vraiment pas français.

Je me projette même en grand-mère. Est-ce qu’ils parleront français ? Est-ce qu’ils mangeront du fromage ? Je veux dire, non pasteurisé. Est-ce qu’ils liront les contes en français que je leur offrirais ?

Je me soigne, un peu. Je me dis que l’amour, c’est l’amour. Que la mixité, c’est beau. Mais je me connais : le jour où il m’annoncera qu’il se marie avec une fille qui s’appelle Brittany ou Taylor, qui dit “I love your accent” à chaque repas, je sourirai. Mais intérieurement, je lancerai un plan de reconquête culturelle. Dès le premier biberon. »

La réponse de French Morning

Merci pour la franchise de votre témoignage, Sarah. Pour vous aider à accepter ces différences culturelles, tournons-nous vers cet article d’Albert Jacquard et Fernando Cuevas : « L’altérité : Fondement de l’Humanisme », dont nous vous proposons le résumé : « 

Respecter autrui, c’est reconnaître en lui un être humain unique, porteur de désirs et de pensées propres. Le psychosociologue Eugène Enriquez appelle cela « l’altérité », concept qu’il développe depuis plus de trente ans. L’altérité consiste à voir l’autre non comme un objet à utiliser, mais comme un sujet à part entière, animé par ses propres aspirations.

Ce concept repose sur la reconnaissance des différences et des points communs, et implique une relation réciproque. Contrairement à l’altruisme, qui donne sans attendre de retour, ou à l’égoïsme, qui ne donne rien, l’altérité nécessite un échange mutuel. Elle va plus loin que la tolérance, qui se limite à une acceptation passive de l’autre, souvent teintée de supériorité ou de distance. La tolérance peut signifier : « je t’accepte malgré tes défauts », alors que l’altérité signifie : « je m’ouvre à toi pour te comprendre, même si ce que tu es me dérange ou m’interroge ».

Les auteurs soulignent le caractère ambigu de la tolérance, qui place souvent celui qui tolère en position de jugement ou de domination. À l’inverse, l’altérité permet une construction mutuelle : c’est par la relation avec autrui, même difficile ou conflictuelle, que l’on se construit en tant qu’individu. Refuser cette relation, c’est risquer l’exclusion et l’isolement, ce qui devient source de souffrance.

L’altérité authentique exige donc écoute et sincérité. Il ne suffit pas de parler à l’autre, il faut aussi entendre ce qu’il exprime, même si cela remet en cause nos certitudes. Selon les auteurs, toute rencontre comporte une part de risque, mais ce risque est essentiel pour grandir. Il ne s’agit pas d’éviter les conflits, mais de rester ouvert à ce que l’autre nous apporte.

Les auteurs distinguent également l’altérité de l’empathie. L’empathie, souvent comprise comme « se mettre à la place de l’autre », est une tentative de comprendre ses sentiments et ses émotions. Or, il est illusoire de croire que l’on peut réellement se mettre à la place de quelqu’un, car chaque vie est unique. Il s’agit plutôt d’essayer de comprendre, tout en restant conscient que l’on reste soi-même. Là où l’empathie vise une identification, l’altérité respecte la distance nécessaire entre soi et l’autre. »

Source 

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