Arthur Goldhammer: "Juppé ressemble à Clinton"

Arthur Goldhammer: "Juppé ressemble à Clinton"

Par Alexis Buisson / Le 19 novembre 2016 / Actualité

C’est sans doute l’observateur américain le plus affûté de la vie politique française. Chercheur au Centre d’études européennes d’Harvard, Arthur Goldhammer, 70 ans, a adapté plusieurs livres français en anglais, dont Le Capital au XXIe siècle, le best seller de l’économiste Thomas Piketty. Avant, il s’était frotté à Alexis de Tocqueville, Albert Camus et Marguerite Yourcenar notamment.
Dans son blog, French Politics, il prend la plume pour expliquer la politique française aux Américains avec un regard sans concession. French Morning lui a demandé comment Donald Trump allait changer, ou non, l’élection présidentielle française.
French Morning: L’élection de Donald Trump peut-elle profiter à Marine Le Pen ?
Arthur Goldhammer: Je crois qu’il y a deux phénomènes qui vont dans des sens contraires. Ça peut encourager des électeurs qui avaient peur de la victoire de l’extrême droite à se dire: “on peut risquer un saut dans l’inconnu” . En même temps, un certain nombre d’électeurs auront une réaction contraire. Ils penseront: on ne peut pas avoir le luxe d’un vote de protestation. Il faut barrer la route à l’extrême droite. Même si on est de gauche, il faut voter Juppé ou quelqu’un du centre pour empêcher la prise de pouvoir de Marine Le Pen. Je ne peux pas estimer la force relative de ces deux tendances, mais à mon avis, je dirais que ça va renforcer la réaction contre Marine Le Pen.
Cela dépendra-t-il des premiers mois de l’administration Trump ?
C’est possible, mais ça peut avoir un autre résultat car nous allons voir apparaître les contradictions dans le programme de Trump et sa difficulté à former un gouvernement de la part de quelqu’un qui n’a pas l’expérience, les réseaux nécessaires. Cela va susciter un certain nombre de refus de la part de personnes expérimentées dans le secteur militaire et des affaires étrangères par exemple. On peut aussi voir l’émergence d’une résistance contre Donald Trump qui peut faire réfléchir les Français tentés de voter Le Pen pour protester contre le statu quo.

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Arthur Goldhammer

Marianne a dit que l’élection de Trump était un 21 avril américain. Partagez-vous cette analyse ?
Il y a des points communs. Cette élection était un choc pour les observateurs américains, comme en 2002 en France. Mais la grande différence est que l’élection en France est à deux tours. Quand un candidat non prévu par les sondages émerge, il y a une deuxième chance pour rectifier le tir. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Il faut aussi dire que Jean-Marie Le Pen a eu près de 17% des voix en 2002, Trump a eu 48-49%. Il n’avait pas la majorité. Ici, on peut gagner avec une minorité des voix. C’est une différence importante.
Dans le New Yorker il y a quelques mois, Adam Gopnik disait que la seule manière de défaire Trump était de former un “barrage républicain” comme au second tour de la présidentielle de 2002 contre Jean-Marie Le Pen. Cela a-t-il un sens dans le contexte américain ? 

Le FN était dès son origine un parti anti-système, anti-républicain. En 2002, toujours sous la férule de Jean-Marie Le Pen, il l’était encore​ plus qu’aujourd’hui. Alors que le parti républicain américain est l’un des deux partis qui ont longtemps partagé le gouvernement du pays. Beaucoup d’électeurs se déterminent à partir de leur identification partisane, ce qui compte plus que le programme de chacun des candidats. La plupart des élus du parti républicain n’ont pas désavoué le candidat Trump, et l’électeur lambda de droite l’a donc accepté comme le candidat du parti en dépit des éventuels doutes sur son caractère ou ses capacités.
 
Marion Maréchal Le Pen a dit qu’elle aimerait travailler avec Steve Bannon, le chef de la stratégie de Trump et figure de la droite extrême américaine. L’administration Trump entretiendrait-elles de bons rapports avec une France présidée par Marine Le Pen ?

​Tout est possible. Il y a une certaine convergence entre la position de Trump à l’égard de la Russie et le soutien de Poutine par Marine Le Pen. Sur l’immigration et l’Islam, également, il y a d’évidentes similarités. Mais Trump veut que tous les pays de l’Europe dépensent plus pour leur défense, et là on voit un éventuel élément de désaccord. ​ ​Mais ce sera le cas même si le président de la République n’est pas Marine Le Pen.

La gauche américaine a-t-elle quelque chose à apprendre de l’après-21 avril ?

Aussi, il y a peut-être une leçon à tirer pour le centre-gauche et le centre-droit en France. Juppé ressemble à Clinton. C’est quelqu’un de très expérimenté qui maîtrise beaucoup mieux les dossiers que Marine Le Pen mais qui n’inspire pas l’enthousiasme des électeurs. C’est un signal de danger pour Alain Juppé ou d’autres candidats du centre comme Emmanuel Macron. Je n’ai pas très confiance dans la candidature de ce dernier. Il est haut dans les sondages car c’est un personnage nouveau. Mais dès qu’il annoncera sa candidature, je pense qu’il va baisser un peu. En France, l’élection va se décider sur des critères complètement différents. Il ne faut pas tirer trop de conclusions des résultats américains. En France, il y a la question de l’UE, l’euro, le Brexit… Pour nous, l’immigration du Mexique a beaucoup diminué, mais ça continue d’être un sujet en France avec le conflit syrien.

Comment Alexis de Tocqueville aurait-il vu l’élection de Trump ?
Il aurait été choqué par le manque de connaissance des dossiers et il aurait eu peur que le pays le plus fort au monde d’un point de vue militaire soit dirigé par quelqu’un qui n’a pas d’expérience en relations internationales.

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