“Me laisse pas Louis. Me laisse pas toute seule”. Silence. Sanglots. La porte claque.
Tout comme Charlotte, réveillée par la dispute de ses parents, le spectateur observe la séparation par le trou de serrure de sa chambre. Plongée dans l’intimité profonde d’une famille, dès la scène d’ouverture de “La Jalousie”, qui sort en salles à Miami, Los Angeles et New York.
Louis (Louis Garrel) quitte Clotilde et sa petite fille pour Claudia (Anna Mouglalis). Tous les deux sont comédiens. Lui joue dans un théâtre et arrive péniblement à joindre les deux bouts tandis qu’elle, qui n’a pas tourné depuis six ans, ne trouve pas de rôle.
Lui peut vivre d’amour et d’eau fraîche et croit follement en elle. Elle “que ses ailes de géant empêchent de marcher”. Elle qu’il aime “définitivement” et à qui il adresse une déclaration d’amour d’une rare beauté. Elle qu’il idolâtre, telle une muse, aime et adore.
Elle est tiraillée. Profondément angoissée, fatiguée d’attendre… attendre quoi et attendre pourquoi ? ne cessera-t-elle de se demander. Épuisée d’habiter dans leur chambre de bonne, elle veut plus. Dans une scène, sublime, elle commencera par lui dire qu’“on ne s’aime pas comme ça dans le vide” avant d’expliquer qu’elle ne peut plus vivre dans cet endroit “C’est moche, c’est triste (…) Je veux bien être fauchée mais je supporte pas d’être pauvre”.
Peu à peu, leur couple s’essouffle. Alors que Louis s’aventure dans le flirt léger avec des femmes, Claudia elle franchit le pas de l’adultère. Pourtant, elle l’“aime autant qu’elle est capable d’aimer”.
Le couple Garrel-Mouglalis crève l’écran, elle avec sa voix suave et rocailleuse, lui avec une passion nonchalante qui l’habite tout au long du film. Ensemble, ils brillent.
Telle une nouvelle, “La Jalousie” explore la complexité du sentiment amoureux, en dessinant les contours d’une relation passionnée. Des tableaux de la vie quotidienne s’enchainent, emprunts de poésie, telle cette scène où Louis récite “Britannicus” en se rasant tandis que sa bien-aimée lit allongée dans la pièce attenante. Le film adopte le point de vue de Louis, tour à tour désespéré, aimant, à la fois père et amant, homme surtout.
Loin de se cantonner au rapport amoureux, la jalousie concerne tous les personnages du film. C’est celle de Charlotte, incarnée avec brio par Olga Milshtein, qui entretient avec son père une relation complice et fusionnelle. Rarement un duo n’a été aussi touchant, leurs regards et leurs sourires enveloppant le film d’un manteau de tendresse. C’est aussi celle de Clotilde, qui voit le père de sa fille refaire sa vie et doit faire son deuil et continuer elle aussi, à avancer.
“La Jalousie” est une ode à l’altérité qui montre avec beaucoup de subtilité que l’amour peut revêtir maintes formes, et tout autant de significations plus ou moins perceptibles par l’être aimé. Parfois encombrant, vecteur de culpabilité, de désespoir mais aussi de joie, l’amour est disséqué par le réalisateur comme un fantastique moteur de vie.
Convoquant son histoire personnelle, Philippe Garrel fait appel à sa famille pour incarner ses souvenirs. Inspiré d’une histoire d’amour que le père de Philippe Garrel a vécue, lorsque celui-ci était encore enfant et vivait avec sa mère, c’est le fils du réalisateur qui incarne son père, à l’âge de 30 ans. Au casting, on retrouve également Esther Garrel, soeur de Louis à l’écran comme dans la vie.
La photographie signée Willy Kurant est absolument sublime. Le noir et blanc charbonneux, allié aux gros plans typiques des films muets qu’aime tant Philippe Garrel, donne à l’image une force rare doublée d’une esthétique percutante.
La musique, composée par Jean-Louis Aubert achève de donner au film volupté et profondeur. On sort de la salle de cinéma abasourdi.
"La Jalousie" : Philippe Garrel au sommet de son art
Par FM / Le 14 août 2014 / Actualité
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